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La Plainte d’une Momie, par Louis Bouilhet (XIXe s.) 31 octobre, 2024

Posté par hiram3330 dans : Billevesees & coquecigrues , trackback

La Plainte d’une Momie, par Louis Bouilhet (XIXe s.)

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La Plainte d’une Momie

Aux bruits lointains ouvrant l’oreille,

Jalouse encor du ciel d’azur,

La momie, en tremblant, s’éveille

Au fond de l’hypogée obscur.

Elle soulève sa poitrine,

Et sent couler de son œil mort

Des larmes noires de résine

Sur son visage fardé d’or.

Puis au cercueil de planche peinte

Heurtant ses colliers de métal,

Elle pousse une longue plainte,

Et miaule comme un chacal.

« Oh ! dit-elle, avec sa voix lente,

Être mort, et durer toujours !

Heureuse la chair pantelante

Sous l’ongle courbe des vautours !

« Heureux les morts qu’un vent d’orage

Plonge au fond des gouffres salés,

Et qui s’en vont, de plage en plage,

Reluisants, verdis et gonflés !

« Heureux trois fois ceux qu’on enterre,

Tout nus, dans les sables mouvants,

Et dont le corps tombe en poussière

Qui tourbillonne aux quatre vents !

« Ils vivront ! ils verront encore,

À la nature se mêlant,

Les frissons roses de l’aurore

Sur le lit bleu du ciel brûlant.

« Et, sous des formes inconnues,

Oublieux du néant glacé,

Ils secourront au vent des nues

Les cendres noires du passé.

« Hélas ! Hélas ! La destinée

M’accablant d’honneurs importuns,

Garde ma forme emprisonnée

Dans l’éternité des parfums.

« Mon cercueil, sous la crypte blanche,

Ne tient plus à ses clous d’airain,

Et les vers ont troué la planche,

Comme un crible à passer du grain.

« Sur ma poitrine recouverte

De symboles religieux

Le temps, avec sa lèpre verte,

A rongé la face des dieux.

« Seul, au milieu de ce qui tombe,

Je reste immobile et jaloux,

Et je dis au vers de la tombe :

Ô vers, pourquoi m’oubliez-vous ? »

« Ici, jamais ni vent, ni pluie

N’ont rafraîchi mon front poudreux ;

Depuis vingt siècles je m’ennuie

À regarder, de mon œil creux,

« Le sphinx de pierre, aux froides griffes,

Accroupi dans mon antre obscur,

Avec l’oiseau des hiéroglyphes

Qui ne s’envole pas du mur.

« Pour plonger dans ma nuit profonde,

Chaque élément frappe en ce lieu :

— Nous sommes l’air ! Nous sommes l’onde !

Nous sommes la terre et le feu !

« Viens avec nous ! La steppe aride

Veut son panache d’arbres verts.

Viens, sous l’azur du ciel splendide,

T’éparpiller dans l’univers !

« Nous t’emporterons par les plaines,

Nous te bercerons à la ibis,

Dans le murmure des fontaines,

Et le bruissement des bois.

« Viens !… la nature universelle

Cherche, peut-être, en ce tombeau,

Pour le soleil, une étincelle,

Pour la mer, une goutte d’eau

« Alors, me réveillant dans l’ombre,

Je roidis mes membres perclus.

Sous les bandelettes sans nombre

Mes pieds maigres ne marchent plus.

« Et, dans ma tombe impérissable,

Je sens venir avec effroi,

Les siècles lourds comme du sable

Qui s’amoncelle autour de moi.

« Ah ! sois maudite, race impie,

Qui de l’être arrêtant l’essor

Garde ta laideur assoupie

Dans la vanité de la mort !

« Un jour, les peuples de la terre

Brisant ton sépulcre fermé,

Te retrouveront tout entière,

Comme un grain qui n’a pas germé.

« Et, sous quelque voûte enfumée,

Ils accrocheront, sans remords,

Ta vieille carcasse embaumée,

Auprès des crocodiles morts !… »

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extrait de Festons et astragales, 1880, par Louis Hyacinthe Bouilhet, dit Louis Bouilhet (1821-1869), poète et auteur dramatique français, ami de Gustave Flaubert.

 

Source : « L’Égypte entre guillemets »

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